Le 14 mars 2018, avait lieu à l’INHA la conférence « Can I use it ? Explorer, partager et réutiliser les images des collections en ligne » dans le cadre du programme « Images/Usages » porté par la Fondation de France et l’Institut National d’Histoire de l’Art (INHA). Ce projet vise à dresser un panorama de l’utilisation des images d’œuvres d’art au sein des institutions et de leurs conditions d’utilisation (régime de diffusion, mode de taxation, accessibilité). Le Musée de Bretagne était ainsi invité à témoigner au cours de cette conférence sur son projet de portail très innovant. Lancé en septembre 2017, celui-ci, selon une initiative encore trop rare en France, propose aux internautes de télécharger gratuitement les images et les encourage à les réutiliser. Aperçu des problématiques abordées durant cette conférence.
Intervenantes
- Martine Denoyelle, conservatrice en chef du Patrimoine, chargée de mission Prospective numérique, directrice du programme Images/Usages, INHA
- Céline Chanas, directrice du musée de Bretagne
- Fabienne Martin-Adam, responsable de la cellule inventaire et documentation des collections, musée de Bretagne

Les problématiques de diffusion et de mise en valeur du patrimoine français sont affectées par la question du coût des images et de leur diffusion. Le tableau dressé depuis quelques années s’est vu modifié (changement dans les pratiques, développements technologiques, réalisation de différents projets en humanités numériques). La mise en ligne des collections par les institutions doit conduire ces dernières à faire des choix en terme d’accès pour leurs données, notamment textuelles. Beaucoup de musées choisissent de placer leurs collections en open access sous des licences permettant leur libre réutilisation.
Il existe différentes politiques de diffusion en France avec des termes différents. Certains sites sont user friendly : ils permettent le partage et la réutilisation à l’image d’Europeana. Un mot-clé qui devrait être celui des musées est justement le partage. Beaucoup d’institutions ont eu jusque-là une définition limitée : la réutilisation dans le cadre privé est autorisée mais pour les autres usages, notamment ceux de recherche et de transmission du savoir, les images restent payantes. Le partage de données et d’image sans condition ainsi que la politique d’encouragement et de participation du public sont des pratiques inhérentes au monde digital. Ce modèle reste pourtant encore très rare dans le domaine des institutions culturelles. Les musées doivent encore se définir dans le paysage socio-numérique.

Le portail des collections du musée de Bretagne et de l’écomusée du pays de Rennes : un modèle français de la libre réutilisation des images de collections muséales
Le Musée de Bretagne, initiateur du projet
Le Musée de Bretagne est un musée de société et un Musée de France géré par la Métropole de Rennes. Il est situé aux Champs libres, dans un environnement culturel hybride regroupant le musée, un centre de culture scientifique et technique et la bibliothèque de Rennes Métropole. Il s’inscrit dans les musées régionaux de synthèse comme a pu les créer Georges Henri Rivière.
Le renouvellement du Projet Scientifique et Culturel du musée a été validé en 2015. La question clé concernait l’innovation dans la relation au public, la démarche de participation et de co-construction faisant partie de l’ADN des musées de société. Une problématique forte émergeait. La collection étant vaste, seule une petite partie était exposée. Elle est encyclopédique et comporte près de 600 000 objets et documents dont un important fonds de photographies comptant 400 000 négatifs, beaucoup d’arts graphiques ainsi que des collections d’ethnographie régionale.

L’enjeu de ce projet consistait à effectuer le récolement tout en réalisant en même temps la numérisation de manière massive, le tout étant adossé à une stratégie de valorisation traitée à travers le domaine de l’ingénierie documentaire. L’équipe souhaitait rassembler les objets du musée ainsi que l’ensemble des matériaux sonores et des documents audiovisuels collectés.
En 2014, le chantier des collections est lancé. Il est adossé au projet de renouvellement de la base documentaire du musée des collections associé lui-même à un projet de valorisation de type portail en ligne. Un renouvellement était en effet nécessaire, le musée de Bretagne ayant ressenti les limites de Micromusée.
Un des premiers enjeux correspondait au financement de ces projets avec un coût d’investissement d’environ 1, 5 millions d’euros sur trois ans. Un budget supplémentaire a pu être obtenu au niveau de la métropole, cette dernière étant très inspirée par la politique d’open data. Par ailleurs, le Musée de Bretagne bénéficiait aux Champs libres d’un environnement idéal grâce à la bibliothèque et aux Wikipédiens très présents à Rennes.
L’équipe
Une cellule dédiée à l’action culturelle numérique accompagnée de la mise en place d’une stratégie numérique ont pu voir le jour au sein du musée. Cette équipe a ainsi pu travailler sur la présence sur les réseaux sociaux, la veille documentaire ou encore la problématique du partage. Le Musée de Bretagne a accueilli durant l’automne 2015 l’événement Museomix qui a constitué pour le projet une forte source d’inspiration tout comme Wikipédia, le MET et le Rijksmuseum.

Les fiches de poste de l’équipe du musée ont pu évoluer. Le projet a également bénéficié de l’implication des directeurs et des conservateurs. Le musée s’avérait plutôt démuni par rapport à la bibliothèque située aux Champs libres car il ne disposait pas de personnel en ingénierie documentaire. Le travail s’est donc effectué essentiellement grâce aux formations continues qui n’ont pas été toujours faciles à trouver. L’équipe a pu compter également sur l’appui de la cellule communication de Rennes Métropole.
Présentation et conduite du projet
En 2015, le musée s’équipe d’un nouveau progiciel pour répondre à des nouveaux besoins tels que le collectage et l’union de la documentation répartie jusque-là sur différents outils.
Le cahier des charges comportait les précisions suivantes :
- Un outil interopérable aussi bien pour la documentation, la collection muséale, que les reportages photographiques comportant des fonctionnalités avancées en terme de photothèque.
- Recherche sur plusieurs niveaux.
- Publication des données en OAI-PMH pour pouvoir être moissonnée.
- Exports vers Joconde.
- Plus grande accessibilité des collections patrimoniales vers une mise en ligne des collections facile avec une intuitivité pour les utilisateurs.
- Interactivité : possibilité pour les utilisateurs de laisser des commentaires.
Ce projet nécessitait des compétences multiples qui ont pu être apportées grâce aux Champs libres (Direction des Systèmes d’Information, communication et compétences juridiques).

Calendrier
Ce projet s’est inscrit dans un contexte particulier, celui d’un chantier des collections. Le projet a suivi le calendrier suivant :
- 2014-2015 : benchmarking. En parallèle s’est effectuée la préparation des données (thésaurus de mots-clés)
- 2016 : rédaction du cahier des charges.
- Décembre 2016 – septembre 2017 : réalisation du projet.
- Septembre 2017 : ouverture du portail.
Fonctionnalités
174 000 notices sont actuellement proposées. Parmi les possibilités offertes à l’utilisateur :
- Chercher parmi plus de 174 000 fiches ressources : collections muséales, reportages photographiques et vidéos.
- Trier ses résultats par facette.
- Sauvegarder des sélections dans un compte utilisateur.
- Imprimer, exporter, enregistrer des notices et des images d’un poids maximum de 2500 pixels de côté (800 pixels pour les œuvres avec un usage limité, en « tous droits réservés »).
- Commenter une notice.
- Partager une notice ou une image : numéro ARK unique et pérenne.
- Réutiliser en fonction des droits associés.
Utilisation des images : des données ouvertes le plus largement possible
Ce portail a été l’occasion d’appliquer une nouvelle politique de l’utilisation des images. L’internaute peut télécharger les photographies sans demander l’autorisation auprès de Rennes métropole. La gratuité a en effet été votée en juin 2017. Un travail juridique a dû être mis en œuvre pour la signature de nombreux contrats de cession de droits suite au choix de licence Creative Commons. Le musée a pris contact avec les auteurs et les ayants-droits pour leur expliquer le projet.

Les différents types de licence
Les données du portail sont placées sous Open Database License (ODbL), les œuvres sous Licence CC ou tout droits réservés.
Œuvres faisant partie du domaine public ou orphelines créées avant 1947 :
- Œuvres en deux dimensions : Marque du domaine public
- Œuvres en trois dimensions : CC0 ou CC BY SA, en fonction du photographe (dépend s’il est prestataire ou non).
Œuvres orphelines créées après 1947 : CC BY NC ND
Concernant le reste des collections muséales, le musée a adressé des propositions de contrat de cession de droits à l’auteur ou aux ayants-droits, avec choix de licence CC. Le musée expliquait alors la démarche de cession de droits et n’a essuyé jusque-là qu’un seul refus.
Reportages photographiques : CC BY SA avec l’accord du photographe.
Quelques chiffres
A ce jour, plus de 174 000 items sont en ligne.
Parmi les plus de 100 000 images en ligne :
- 63 % : domaine public ou CC0
- 14 % : CC BY SA
- 21 % : autres licences CC plus restrictives
- 2 % : tous droits réservés dont ADAGP
Perspectives
Quelques pistes
- Début de la phase 2 : œuvres du musée des Beaux-Arts de Rennes.
- Moissonnage du portail Bretania.
- Export de l’ensemble de la base Flora (près de 320 000 notices) vers le site Open Data de Rennes Métropole.
- Accès à Flora en fullweb pour les chercheurs.
- Enrichissement de la base : vidéos, dossiers documentaires.
- Analyse des usages.
- Crowdsourcing ou communitysourcing (ce dernier étant effectué à plus petite échelle pour mieux documenter les collections, surtout celles photographiques).
- Communiquer (communiqué de presse, vidéo).
Développer l’aspect collaboratif
Le site présente des parcours thématiques avec des collections à identifier. Les internautes peuvent émettre des suggestions et être ainsi repérés par le musée comme de potentielles personnes pouvant portentiellement s’investir davantage par la suite dans ce procédé. La notion de partage fait sens avec cet aspect collaboratif.

Le portail se veut comme un outil professionnel tourné résolument vers l’usager. L’équipe du projet estime qu’il manque désormais une cellule d’animation du portail et de ses communautés. Un premier repérage des communautés a pu se faire via les projets RDV4C (projets proposés et animés par les usagers) dans le cadre des Champs libres. L’équipe espère ainsi que les usagers vont s’emparer de ces contenus selon ces idées de démarche collaborative et de partage des ressources.
Très très instructif, merci Alice !
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